« Les craintes d’un fichage général de la population suscitées, dans les années 70, par le projet SAFARI étaient bel et bien fondées. Ce projet gouvernemental avait pour but d’identifier chaque citoyen par un numéro et d’interconnecter sur la base de cet identifiant tous les fichiers de l’administration. Si les outils sont aujourd’hui plus sophistiqués – mais pas moins dangereux ! –, la multiplication des fichiers informatiques comportant des informations sur les mineurs ne saurait laisser indifférent. »

Jean-David Dreyfus [1]

La “dissimulation” derrière le fichier Base élèves 1er degré d’un autre fichier mal connu est un bon exemple des difficultés rencontrées par les individus face à ceux qui les gouvernent. Dans son rapport annuel, l’association DEI-France, présidée par le juge Jean-Pierre Rosenczveig, rejoignant la Défenseure des enfants, exprime son inquiétude devant les risques d’atteinte à la vie privée des mineurs engendrés par la multiplication des fichiers les concernant.

Derrière Base élèves : la BNIE

[2]

Il suffit de consulter l’une des 27 “questions écrites” posées sur ce sujet au ministre de l’Education nationale par les députés depuis juillet 2007 – par exemple celle de François Brottes – pour mesurer l’inquiétude soulevée par le fichier Base élèves 1er degré. [3]

Et il y a bien de quoi s’inquiéter ! En effet, les données qui sont entrées dans Base élèves, lors de la (ré)inscription annuelle de chaque élève dans l’école, entrent également dans un autre fichier dénommé « Base Nationale des Identifiants Elèves » (BNIE) dont la fonction est la suivante :

1. dans le cas d’une première inscription, attribuer à cet élève un « identifiant national élève » (INE), calculé automatiquement à partir des données entrées dans Base élèves, 2. dans tous les cas, mettre à jour, dans la BNIE, les données relatives à cet élève.

Certes, cette BNIE a été déclarée sur un formulaire de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) [4]. La déclaration a été complétée, le 8 février 2007, par une liste d’« annexes », où l’on apprend que « les utilisateurs habilités autorisés à accéder à l’application seront approximativement 400 », et que les données nominatives pourront être conservées jusqu’à 35 ans dans cette BNIE. Mais, ni les parents d’élèves, ni les enseignants, n’ont jamais été informés qu’une partie des données exigées sur la fiche de renseignements qu’ils remplissent chaque année alimente cette base de données !

Dans une question écrite publiée le 27 novembre 2008, la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat exprime le souhait que « le ministère de l’éducation nationale reçoive rapidement les organisations associatives et syndicales concernées pour donner toutes les garanties nécessaires quant à l’utilisation éthique des technologies de l’information et de la communication conforme à la fois aux besoins du service public et à la garantie des droits des élèves et de leurs familles, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre de la base nationale des identifiants élèves. » [5]


La protection de la vie privée dans le rapport d’octobre 2008 de Défense des Enfants International – FRANCE [6]

On est ici en présence d’un réel sujet d’inquiétude. […] La société, à défaut d’organiser une véritable prévention de la non-insertion sociale en s’attaquant aux causes profondes qui favorisent l’échec scolaire, la délinquance, etc., tend actuellement à organiser le repérage, le dépistage, le suivi voire le contrôle des populations « à risques ».

Certains critères sont donc avancés comme signes précurseurs d’une dérive potentielle : on a ainsi voulu organiser le repérage d’enfants à « troubles du comportement » dès la maternelle [7]

Le fichage, y compris de données personnelles, familiales, comportementales, médicales ou de réussite scolaire, est ainsi organisé de plus en plus fréquemment sous couvert de repérage précoce, de recherches statistiques ou de nécessités de gestion, sans que les finalités de ces fichiers soient toujours bien définies et leur utilisation bien sécurisée.

Ainsi la généralisation du fichier « Base élèves » prévue par le ministère de l’éducation nationale pour la rentrée 2009 a-t-il soulevé de nombreuses inquiétudes et protestations. C’est une application informatique à trois niveaux (l’école, l’Académie et au plan national) qui concernait des opérations diverses : inscription scolaire, suivi de l’obligation scolaire, suivi des effectifs, suivi des parcours scolaires de la maternelle à l’entrée en 6ème et statistiques académiques et nationales. Il était initialement prévu d’y collecter des données aussi bien sur la situation familiale (nationalité, date d’arrivée en France, langue parlée à la maison, adresse de l’employeur des parents, catégorie socio-professionnelle…) que sur l’absentéisme ou les besoins éducatifs particuliers de l’élève et même le suivi médical (psychologique, psychiatrique). Ces données sensibles ont heureusement été supprimées et seules seront collectées les données strictement nécessaires à la gestion des effectifs des élèves du premier degré par les services de l’Education nationale. La sécurisation du fichier pour éviter des accès aux données par d’autres personnes que celles autorisées a également dû être améliorée.

Plus récemment, le fichier EDVIGE mis en place par un simple décret à des fins de sécurité intérieure, puis remanié devant les protestations unanimes en EDVIRSP, aura comme conséquence de ficher « préventivement » dès 13 ans et ce, jusqu’à 21 ans [8], voire plus, les jeunes, qui seraient « susceptibles de troubler l’ordre public », sans que les critères d’inscription au fichier soient plus clairement définis.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui a étudié le cas de la France vis à vis du pacte des droits civils et politiques lui a adressé une recommandation dans son rapport de juillet 2008 : il demande qu’a minima, « le fichier « EDVIGE » ne porte que sur les enfants à partir de 13 ans qui ont été reconnus coupables d’une infraction pénale » (recommandation 22 d).

Plutôt que de décider dans l’urgence de fichages aux finalités mal définies, dont il s’avère qu’ils présentent des risques d’atteinte à la vie privée ou d’utilisation pouvant nuire au respect des libertés individuelles, l’Etat ne devrait mettre en place des fichiers qu’après en avoir précisément défini les objectifs, les contenus et l’utilisation, après consultation préalable de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) et concertation avec les personnes concernées (usagers et professionnels).


[1] Extrait de Le SAFARI des élèves du premier degré, par Jean-David Dreyfus, professeur à l’université de Reims, responsable du master 2 spécialité Droit public.

[2] Base Nationale des Identifiants Elèves

[3] La question posée le 11 novembre 2008 par le député Jean Launay mérite d’être signalée : alors que l’inscription scolaire n’est obligatoire que pour les enfants de 6 à 16 ans, sur quel fondement juridique repose l’obligation, signalée par la Cnil – voir base élèves : le “mode d’emploi” de la Cnil –, d’inscrire dans Base élèves (donc dans la BNIE) les enfants de moins de 6 ans ?

[4] Le formulaire a été signé le 9 janvier 2006, puis adressé à la CNIL, accompagné d’une lettre du ministère de l’Education nationale datée du 15 février 2006. La CNIL a délivré un récépissé (n°1151647) le 27 février 2007.

[5] La question de Nicole Borvo : Mise en oeuvre de la base nationale des identifiants élèves

[6] Extrait (pages 44 et 45) du rapport 2008, accessible sur le site de DEI-France.

[7] Voir la polémique suscitée par l’utilisation à des fins politiques de soi-disant « prévention de la délinquance » d’un rapport de l’INSERM sur les troubles du comportement : pasdeOdeconduite : le débat scientifique et de société a porté ses fruits..

[8] Initialement aucun âge limite d’effacement des informations concernant les mineurs n’avait été fixé.