en tant qu’enseignant, éducateur et citoyen, il m’est impossible de participer à ce qui me paraît …
“Le 27 novembre 2008
Jean Yves Le Gall”
« Convoqué à l’Inspection académique de l’Isère le 27 novembre dernier, afin de s’expliquer sur sa prise de position par rapport à Base élèves, Jean-Yves Le Gall a remis la lettre suivante à la fin de l’entretien.
Directeur de l’école de Notre Dame de Vaulx, je refuse, comme de plus en plus de collègues, de renseigner le fichier Base Élèves qui centralise nationalement les informations sur les enfants des écoles primaires. Pour cela, j’ai déjà eu un retrait de salaire d’une journée et je suis convoqué aujourd’hui pour un entretien à l’Inspection Académique.
Il m’est demandé d’entrer des données concernant des enfants, leur famille et leurs proches dans un fichier dont l’installation s’entoure de nombreuses irrégularités.
Base élèves n’est pas un simple outil de gestion statistique : à partir du moment où chaque élève est identifié par un numéro, elle devient un fichier central de l’enfance. Xavier Darcos n’a-t-il pas déclaré qu’à un certain moment de son élaboration il a considéré ce fichier comme “profondément liberticide” ? L’administration de l’Éducation Nationale a donc petit à petit laissé tomber ses exigences de renseignements concernant la nationalité ou le parcours scolaire de chacun : recul tactique qui permet de préserver l’essentiel : la BNIE “Base de données Nationale des Identifiants Élèves”. L’Éducation Nationale crée un système central qui fichera à terme 13 000 000 de personnes (les élèves du système éducatif) avec une durée maximum de conservation des données nominatives dans la base de données fixée à 35 ans (au lieu de 40 ans dans la version initiale). À partir du moment où les élèves sont rentrés dans le fichier, tout est possible, y compris le pire… et il y a lieu de s’inquiéter de cela dans un monde où la vie privée des personnes est de plus en plus difficile à protéger. L’exemple de l’extension au fil du temps du champ d’application du fichier des empreintes génétiques, montre, s’il en était besoin, que la destination d’un outil se modifie au cours du temps. Je pense profondément que toute parcelle de liberté perdue ne se récupère pas.
J’ai eu l’occasion de dire à mon Inspectrice que je ne participerai pas à la mise en place du fichier Base élèves pour des raisons d’éthique. Je ne peux renier des principes fondamentaux à mes yeux : le respect de l’enfance et le respect des familles.
La multiplication des instruments de contrôle social est déjà très inquiétante… mais élargir ceux-ci à l’enfance est proprement intolérable. Les enfants ne sont pas des citoyens et n’ont pas le statut juridique pour rendre des comptes à la collectivité. Ils doivent être protégés et non fichés. Préserver un monde de l’enfance à l’écart de la société des adultes me paraît fondamental. La tradition laïque de l’École devrait préserver la séparation entre la vie publique des citoyens et la vie privée des personnes, et par là même l’équilibre entre l’État et les familles dans le domaine de l’éducation. Les enfants sont inscrits d’autorité dans le fichier Base Élèves, sans que le droit d’opposition de leurs parents ne puisse s’appliquer.
Je ne suis pas réfractaire aux nouvelles technologies, loin de là, je les utilise comme beaucoup d’enseignants au quotidien, soit pour la pédagogie, soit pour la gestion administrative. Mais c’est la première fois que je dois faire remonter des données nominatives sur les familles. Ce qui remontait jusqu’à présent n’étaient que des chiffres qui suffisaient largement à l’administration centrale et notamment à la Direction de l’Évaluation et de la Prospective pour élaborer tous les tableaux, diagrammes, études possibles et imaginables afin de « piloter » le système scolaire français. Base Élèves n’est pas non plus une aide pour notre travail administratif. Dans la liste des nombreuses revendications pour l’amélioration de notre métier, un fichier centralisé n’a jamais été demandé ni même évoqué.
Par ailleurs, ce dispositif n’a aucune vocation à réaliser l’objectif ministériel prioritaire, à savoir lutter contre l’échec scolaire et ne permettra en rien d’améliorer la réussite scolaire de nos élèves.
Rien ne me destinait, en prenant en charge la direction d’une école, à devenir un des rouages, si modeste soit-il, de la mise en place d’une société du fichage généralisé, qui me semble être une dérive dangereusement liberticide. Au nom d’une éthique de mon engagement professionnel en tant qu’Enseignant, Éducateur et Citoyen, il m’est impossible de participer à ce qui me paraît être de nature à remettre en cause les fondements mêmes de notre société républicaine. »