Le gouvernement a annoncé une nouvelle réforme des retraites. Après des concertations tout l’été, un texte de loi devrait être présenté en septembre, discuté, puis adopté avant la fin de l’année. Afin de préparer cette réforme, le gouvernement a demandé à une commission d’experts, présidée par Yannick Moreau, d’établir un rapport contenant des scénarios d’évolution à court et à moyen-long termes.

La boussole principale qui guide ce rapport est de rétablir l’équilibre financier des différents régimes de retraites sans accepter de dépenser plus (la part du financement des retraites représente aujourd’hui 14 % du PIB). Ce parti pris, en accord avec les politiques d’austérité en vigueur, empêche toute perspective d’amélioration globale. Les besoins de financement augmentant, ce cadre contraint dégraderait ainsi les retraites. « L’effort » porte donc encore une fois sur les seuls actifs et retraités. C’est pourquoi les évolutions envisagées par le rapport Moreau sont inacceptables. Une autre réforme est possible et le SNUipp attend que le gouvernement revienne sur les mesures les plus pénalisantes, notamment pour les jeunes et les femmes. La question de la pénibilité du métier doit également être rendue visible et prise en compte.

Une nouvelle baisse des pensions par un allongement de la durée d’assurance

La principale piste mise en avant par le rapport Moreau, d’ailleurs évoquée par le chef de l’Etat, est l’allongement de la durée de cotisation requise. Dans la fonction publique, la durée de cotisation était de 150 trimestres avant 2003, puis a été portée à 160 par la réforme Fillon et atteindra 166 trimestres pour la génération née en 1956 et les suivantes.
Cette hausse se répercute à la fois sur le montant de la pension initiale et sur la hauteur de la décote qu’elle amplifie. Les enseignants débutent leur carrière de plus en plus tardivement, à l’âge de 28 ans en moyenne. Travailler 41,5 ans était déjà très utopique, travailler 44 ans serait impossible. C’est donc une diminution des pensions qui est recherchée à travers cette augmentation de la durée de cotisation.

Une perte pouvant dépasser les 30% avec les effets amplificateurs de la décote

Avec les règles actuelles, une enseignante née en 1966 peut partir à 62 ans en 2028. En supposant qu’elle ait travaillé 39 ans (156 trimestres)1, elle pourrait prétendre partir avec une pension représentant 61,7 % de son dernier traitement. Un taux de remplacement déjà fortement amputé par 10 trimestres de décote.
Avec une durée d’assurance portée à 176 trimestres, comme le préconise le rapport Moreau, son taux de remplacement chuterait à 49,9 %. Autant dire, que l’on s’éloigne de plus en plus, d’un taux de 75 %, permettant un certain maintien du niveau de vie lors du passage à la retraite.

Allonger la durée d’assurance alors que l’on entre plus tard et que l’on sort de plus en plus tôt de l’emploi (un salarié sur deux n’est plus en emploi l’année qui précède son départ à la retraite) est devenu complètement grotesque. Pire, cette perspective peu crédible fragilise l’adhésion des plus jeunes au principe même de la répartition.

A l’inverse, le SNUipp avec la FSU demande que les années de formation, d’apprentissage et d’études, de recherche d’emploi ouvrent des droits dans le calcul de la durée d’assurance.

Les retraités actuels ne seront pas épargnés

Jusqu’à présent, les différentes réformes des retraites s’étaient gardées de toucher aux pensions des actuels retraités. Après la campagne d’opinion opposant les générations et présentant les retraités comme des privilégiés, le rapport Moreau avance des mesures pour réduire le pouvoir d’achat des retraités. Les principales mesures mises en avant sont la sous-indexation des pensions, le passage de la CSG de 6,6% à 7,5%, la diminution de l’abattement forfaitaire des 10% sur les pensions vieillesse et l’imposition de la majoration de pension pour les parents de 3 enfants et plus, actuellement non imposable.

Si ces mesures ne faisaient pas baisser le montant des pensions, elles augmenteraient les prélèvements sociaux et les impôts payés par les retraités, diminuant d’autant leur pouvoir d’achat !

Les polypensionnés de la fonction publique sont oubliés

Si le rapport Moreau fait des propositions pour corriger les inégalités dont sont victimes les polypensionnés, celles-ci ne concernent que les polypensionnés du régime général. Actuellement, les fonctionnaires, contrairement à d’autres salariés, se voient appliquer des règles de liquidation de la pension au régime général (CNAV) extrêmement désavantageuses. En effet, le calcul du salaire annuel moyen (SAM) qui sert de référence pour le calcul de la pension est effectué sur la totalité des 25 années, et non pas sur une partie de ces 25 années, en fonction de la durée effectivement cotisée à ce régime. Ainsi un salarié qui aurait travaillé 20 ans dans le privé avant de poursuivre sa carrière dans la fonction publique, se voit non seulement calculer une petite retraite dans la fonction publique (du fait d’une carrière incomplète) mais, qui plus est, une retraite fortement réduite au régime général. Car la règle des 25 « meilleures » années ne permet pas d’écarter les plus mauvaises quand on en a que 20. Autrement dit, on prendra dans ces « meilleures » années tous les petits boulots d’été, les années avec de très faibles salaires, ce qui tire le salaire de référence vers le bas. Les règles actuelles sont vécues comme une double peine pour les personnels dans cette situation.

Un calcul sur les dix dernières années qui creuse de nouvelles inégalités

Le rapport Moreau, comme le COR, fait le constat de taux de remplacement quasi-identique dans le régime général des salariés du privé et celui de la fonction publique.

Pour parvenir à cette égalité, si les règles générales sont les mêmes (âge de départ, durée de cotisation), les modalités de calcul des pensions sont différentes.

Malgré cela, le rapport Moreau envisage de calculer la pension des fonctionnaires, non plus en référence au traitement des six derniers mois, mais sur un calcul portant sur les dix meilleures années, en intégrant une partie plus ou moins importante des indemnités perçues.

Les enseignants des écoles seraient les grands perdants de ces modifications : seuls 7% d’entre eux terminent leur carrière à l’indice maximum (7e échelon de la hors classe) et quand ils accèdent aux indices les plus élevés, c’est très souvent l’année de leur départ. De plus intégrer les primes dans le calcul du salaire est de moindre effet lorsque celles-ci ne représentent que 5,3 % de la rémunération.

Le SNUipp a simulé sur quelques exemples le passage aux 10 dernières années pour des carrières que connaissent actuellement nos collègues.

Nous avons retenu le mode d’indexation proposée par la commission présidée par Yannick Moreau (cf. rapport p. 114) :

Indexation des salaires (en %) = Evolution des prix + Evolution des salaires – 1,5 %

Selon 2 variantes :
1. Variante A : poursuite du gel du point d’indice 2. Variante B : le point d’indice est revalorisé de 1% par an

Et en faisant comme hypothèse que les prix évoluent de 1,8 % par an.

Pour chaque cas, on se place dans une situation extrêmement favorable (et totalement fictive aujourd’hui, voir plus haut) où le taux de liquidation reste fixé à 75 % des derniers traitements bruts.


Simulation n°1 – Julie

Départ à la retraite d’une collègue adjointe. Elle accède à la hors classe un an avant son départ à la retraite, après avoir été 2 ans au 11e échelon. Elle a été promue à l’avancement moyen (au choix) des 10e au 11e et 9e au 10e.

Règles actuelles Gel du point d’indice Augmentation de 1 % par an
Pension brute mensuelle 2 414 € 2 175 € 2 272 €
Gain ou perte subie -238 € (-9,9 %) -141€ (- 5,9 %)

Simulation n°2 – Isabelle

Départ à la retraite d’une collègue directrice d’une école 6 classes (elle perçoit une indemnité annuelle de 1 700 €). Elle est au dernier échelon de la hors classe 3 ans avant son départ à la retraite, après avoir été promue du 5e au 6e HC et du 6e au 7e HC au bout de 3 ans. Elle est restée 2 ans au 11e.

Règles actuelles Gel du point d’indice Augmentation de 1 % par an
Pension brute mensuelle 2 982 € 2 823 € 2 949 €
Gain ou perte subie -159 € (-5,3 %) – 32 € (-1,1 %)

Pour ne pas subir de pertes, il faudrait revoir complètement la politique salariale de l’Etat et augmenter la valeur du point d’indice plus fortement que l’inflation. Ce à quoi personne ne croit après l’annonce d’un nouveau gel du point pour 2014 !

C’est pourquoi le SNUipp, avec la FSU, défend le maintien du mode de calcul actuel des pensions des fonctionnaires.

Une remise en cause des avantages familiaux

Le rapport Moreau préconise une remise à plat globale des avantages familiaux actuels. Ainsi, il envisage la suppression des majorations de durée d’assurance pour enfants et celle de pension de 10% pour trois enfants au profit d’une majoration de pension forfaitaire.

Un pilotage technocratique pour assurer l’équilibre des comptes

La convergence des modes de calcul entre les régimes privés et celui de la fonction publique permettrait également de piloter le niveau des pensions. Fondamentalement, un tel pilotage inverserait la logique de calcul actuel selon des règles définies et lisibles par les salariés aux dépens d’un ajustement en fonction des ressources disponibles. Dans la fonction publique par exemple, le calcul de la pension se fait sur la base d’un taux de remplacement de 75% calculé sur le 6 derniers mois. La proposition de passer sur une base de 10 ans avec une revalorisation incluant la hausse des salaires (le point d’indice pour la fonction publique) augmentée de la hausse des prix, le tout diminué d’un pourcentage fixé par ce pilotage (le rapport avance -1,5%) permettrait à l’Etat de fixer le niveau des pensions en fonction de la valeur du point d’indice mais également de la valeur du pourcentage.

Le système de retraite deviendrait alors à « cotisations définies », où les pensions sont fixées en fonction des ressources disponibles.

Répartir autrement les richesses pour financer des retraites de haut niveau pour tous

Pour garantir à toutes et à tous un système solidaire de retraites de haut niveau, il faut accroître les ressources des régimes de retraite en répartissant autrement les richesses : la hausse des cotisations, l’élargissement de l’assiette des cotisations, la remise à plat des exonérations, la taxation des revenus financiers et du patrimoine et la lutte contre l’évasion fiscale sont quelques-uns des moyens pour y parvenir.

Tout cela doit s’articuler au sein d’un plan de lutte contre la crise, sachant que la situation de l’emploi et le niveau des salaires sont déterminants. Il serait paradoxal d’aggraver la situation par des mesures pesant sur le montant des retraites et donc sur la consommation.