24 enseignant-e-s de la circonscription de Poitiers Sud viennent d’écrire l’IA pour lui faire part de leurs interrogations, leurs doutes, leurs craintes et leurs difficultés auxquelles ils/elles sont confronté-e-s face aux consignes de sécurité.

Le SNUipp-FSU 86 soutient ces enseignant-e-s dans leur démarche et continuera à être le porte-voix de la profession dans toutes instances où nous pourrons faire remonter les problématiques liées aux consignes de sécurité.

Vous retrouverez ce courrier ci-dessous et si vous partagez le contenu de cette lettre, associez vous en le faisant savoir tant au SNUipp qu’à l’IA.


Collectif d’enseignants Circonscription Poitiers Sud

à Monsieur le Directeur Académique s/c Madame l’Inspectrice de l’Éducation Nationale de la Circonscription Poitiers Sud

Monsieur,

Ce courrier vous est adressé aujourd’hui car nous sommes un ensemble de collègues (directeurs et adjoints) à se retrouver en difficulté dans notre pratique professionnelle. En effet, nous devons à présent assumer, porter, obéir à des demandes ministérielles qui nous semblent difficiles à appliquer concrètement sur le terrain, dans la vie quotidienne de nos écoles. Il s’agit des instructions relatives aux mesures de sécurité dans les écoles en cette rentrée 2016.

Ce courrier est un moyen pour nous de vous faire part de nos interrogations, nos doutes, nos craintes et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. En effet,il est demandé aux directeurs, aux enseignants de toutes les écoles françaises, de protéger les enfants d’un éventuel attentat au sein de leur école « vous veillerez à améliorer les capacités de résilience de la communauté scolaire, c’est-à-dire la capacité à ne pas se laisser surprendre et avoir les bonnes réactions » circulaire du 29 juillet 2016.

Cet objectif nous semble certes justifiable mais difficile à atteindre.

Le premier obstacle pour répondre positivement à ces instructions est d’ordre matériel. De nombreuses écoles sont conscientes qu’il est impossible d’empêcher physiquement une intrusion ou de trouver des lieux de confinement assurant la mise en sécurité des enfants : portails bas, fenêtres à hauteur d’hommes dans toutes les classes… Cette prise de conscience est collective : les municipalités, les gendarmes référents se rendent à l’évidence. La conclusion de certains est même qu’en cas d’intrusion dans une école, le confinement est inapproprié, il met les enfants plus en danger encore. La « solution » serait alors de s’échapper mais dans cette situation nous ne sommes pas sûr de répondre positivement à la condition énoncée dans les textes officiels « être certain d’avoir identifié la localisation exacte du danger et être certain de pouvoir échapper sans risque avec les élèves. »

Le second obstacle évident qui est apparu très rapidement au cours de nos échanges entre collègues, avec les parents et les municipalités concerne l’aspect psychologique de l’exercice confinement anti intrusion : quelles sont les conséquences psychologiques pour un enfant « d’apprendre à se cacher à l’école » ? Les directives nous demandent « d’éviter le sentiment d’insécurité à l’école (…) d’évoquer la possibilité d’une intrusion d’une personne dangereuse dans l’école sans risque d’angoisser inutilement les enfants ». Nos questions sont simples : comment fait-on ? Quel terme employer ? A partir de quel âge peut-on considérer qu’un enfant ne sera pas traumatisé ? Il nous est recommandé de ne pas utiliser le terme « attentat/ intrusion » mais plutôt « exercice pour apprendre à se cacher (…) à se taire ». Cette recommandation encore une fois nous apparaît loin de la réalité, loin de toutes connaissances objectives et concrètes de ce qu’est un enfant. Les enfants de tout âge ont besoin de comprendre pourquoi ils font les choses, il s’agit là d’un principe de base de toute initiative pédagogique. Pour les plus petits, on nous parle de « répétition de séquences pédagogiques » pour arriver à nos fins sans jamais leur dire nos objectifs. Certes, de cette manière nous pouvons avoir l’impression de ne pas angoisser les enfants mais nous pouvons malgré tout penser que cette « répétition » est une sorte de conditionnement inconscient, d’ancrage collectif dont nous ne mesurons pas les conséquences sur notre société, sur nos futurs adultes, nos citoyens de demain. Est-ce vraiment souhaitable ? Pour les plus grands, l’expérience de cet exercice de certains collègues a prouvé que les enfants n’étaient pas dupes. En effet, les enfants plus grands se rendent bien compte qu’ils ne seraient pas en sécurité en se barricadant, en s’allongeant par terre, en se mettant sous les tables et en restant silencieux. Nous les mettons donc en face de notre incapacité à les protéger. Par conséquent, il nous semble hâtif de réaliser un tel exercice sans que nous ayons l’assurance que les répercussions psychologiques sur les enfants ne soient pas néfastes.

Enfin, le troisième obstacle auquel certains d’entre nous se retrouvent confrontés concerne un aspect « de fond », une approche plus globale de la situation que génèrent ces directives. C’est presque un obstacle philosophique…

En effet, face à l’entrée de cette sécurité dans nos écoles nous constatons en nous des réactions naturelles, humaines, presque incontrôlables tant elles font écho à l’Homme intrinsèque que nous sommes : quelle société sommes-nous en train de construire, quels citoyens de demain sommes nous en train de former, quelle École voulons-nous ? Qu’est-ce qu’être enseignant, directeur aujourd’hui ? Devons-nous céder à la peur ? Pouvons-nous prétendre à nous préparer efficacement au pire ? Faut-il vivre en se préparant au pire ? Nous sommes conscients de la situation difficile actuelle et sommes bien évidemment attachés, au quotidien, à la sécurité de nos élèves. Mais, en tant qu’éducateurs et citoyens, nous nous devons de garder notre sang froid, ne pas céder à des dérives hâtives et transmettre à nos élèves les valeurs de notre République.

Comme vous l’avez certainement compris en lisant ce courrier, ce qui est exprimé aujourd’hui dans ces quelques phrases essaie de rendre compte du ressenti, du sentiment d’incompétence et du malaise des enseignants face à une telle mesure.

Une solution temporaire qui nous paraît être envisageable et raisonnable pour répondre à ces exigences ministérielles, est tout simplement d’entamer une réflexion entre adultes participant à la vie de chaque école, sur comment réagir en cas d’attentat-intrusion, mais sans mêler les enfants (même de façon cachée) à cette problématique.

Ce compromis ne répond malgré tout pas à l’aspect matériel ou philosophique du problème évoqué dans ce courrier. Il a juste le mérite de protéger nos élèves.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur Académique, l’expression de nos salutations respectueuses.