Problème de diffusion, problème de prise en main par les enseignants, les résultats de la recherche dans l’enseignement ont du mal à se frayer un chemin jusque dans les classes, mais la situation n’est pas désespérée… Explications.

Depuis la première heure, elle rencontre un succès jamais démenti. Cette année encore, pour la 12e édition de l’Université d’automne du SNUipp, une quarantaine de chercheurs iront à la rencontre de 450 enseignants, venus pour partie sur leur temps de vacances, du 26 au 28 octobre à Port Leucate dans l’Aude (lire l’article). Pourquoi un tel engouement ? Certes, 450 c’est un tout petit échantillon comparé aux 320 000 enseignants du premier degré, mais le numéro spécial de Fenêtres sur cours consacré à l’Université, avec l’interview de chacun des intervenants, envoyé à toute la profession, fera lui aussi événement. Ce succès n’a en fait rien de fortuit, il est même très révélateur d’au moins deux points : les ponts sont rares entre chercheurs et enseignants et, ces derniers sont en attente, en demande, de ce qui dans la production des premiers est susceptible de les aider à faire la classe, à faire évoluer leur pratique.

Quels outils pour la diffusion de la recherche

Cela signifie-t-il que le transfert de la recherche à l’enseignement a du mal à se faire ? Le fait est que les voies de passages ne sont pas si évidentes que ça, ou en tout cas qu’il existe un déficit en la matière. En 2001, suite à un rapport de l’historien de l’éducation Antoine Prost qui constatait ce déficit, le ministère avait lancé le Piref (Programme incitatif de recherche en éducation formation). Sa mission était de mettre les travaux de recherche pour le primaire en cohérence. Il pointait notamment des pans entiers de l’enseignement primaire qui ne faisaient l’objet d’aucune recherche (lire l’article). D’autres initiatives avaient été prises, comme celle d’organiser des conférences de consensus sur l’enseignement de la lecture au primaire. Autant d’expériences restées sans lendemain et que rien n’est venu remplacer depuis. Aujourd’hui, qui est seulement capable de lister l’ensemble des recherches en cours ? De fournir une sorte de catalogue-ressource pour les enseignants et leurs formateurs ? Les chercheurs sont disséminés dans leurs labos universitaires, souvent coupés du terrain et mus par un système qui les pousse d’avantage à effectuer des publications dans des revues spécialisées (et rares) que de porter les résultats de leurs travaux jusque dans les classes. Si le problème de la diffusion de la recherche reste posé, ce ne saurait-être non plus l’arbre qui cache la forêt. « Certains résultats pourtant largement relayés en formation n’ont rien changé aux pratiques habituelles » remarque Sylvie Cèbe, chercheuse en sciences de l’éducation à l’IUFM d’Auvergne (lire l’entretien). Selon elle, « on a trop tendance à postuler que les enseignants sont capables de transformer les savoirs issus de la recherche en savoirs pour l’action et ce, dans toutes les disciplines ». Pour y remédier, la scientifique pousse plus loin ses travaux de recherche. Elle poursuit par l’élaboration d’outils pédagogiques destinés aux enseignants, testés avec eux dans la classe, puis réajustés au vu des expériences.


Vers une « redéfinition » de la tâche

Cette idée que pour aider les enseignants à aider les élèves la recherche ne peut se contenter d’être « surplombante », de théoriser des contenus didactiques, pédagogiques et de regarder d’en haut comment les enseignants s’y piquent, n’est pas isolée. Elle est en tout cas partagée par Marc Daguzon directeurs des études à l’IUFM d’Auvergne sur les masters de l’éducation (lire l’entretien). « La formation donne un éclairage sur un point précis mais ce sont les enseignants qui devront s’en emparer pour le traduire, le remettre en situation par un rééquilibrage de ce qu’ils ont l’habitude de faire : c’est ce que j’appelle la redéfinition de la tâche ». Autrement dit, le produit de la recherche peut-être utile à condition que l’enseignant puisse le remettre à sa main, l’agglomérer à d’autres savoirs, d’autres pratiques et le couler dans la réalité et l’hétérogénéité de sa classe. À ce titre, les formateurs ont un rôle important à jouer même s’il n’est pas forcément toujours facile d’être à l’interface de ce que demande l a recherche et ce qu’attend le terrain. Cet écueil, Ghislaine Haas, professeure à l’Université de Dijon, et son équipe, l’ont dépassé. À partir des travaux théoriques de la linguiste Nina Catach, elle a élaboré des ateliers de négociation graphique. Après avoir écrits seuls une phrase dictée par le maître, les élèves vont discuter de l’orthographe, défendre leur point de vue, argumenter. Des interactions qui vont leur faire « parler l’orthographe » pour mieux l’appréhender (lire l’article). Cette pratique issue de la recherche, la chercheuse l’a d’abord expérimentée avec des enseignants volontaires, puis a poursuivi sa diffusion par le biais de la formation d’enseignants et de formateurs. Dans ce contexte, la réforme de la mastérisation peut produire un élément nouveau. Les M2 rédigent un mémoire de recherche à la fin de leur cursus, devenant eux-mêmes chercheurs. Des travaux encore plus pertinents pour l’école quand il s’agit de masters qui concernent l’enseignement. L’IUFM d’Auvergne, encore lui, a mis en place des formations continues diplômantes de niveau Master 2. La demande y est cinq fois supérieure à l’offre, preuve que les enseignants ne demandent pas mieux que d’enrichir leur professionnalité grâce aux apports de la recherche.


L’ensemble du dossier

- Présentation du Dossier : “Recherche et métier : des ponts à construire ”

- Université d’automne du SNUipp -FSU

- Programmes : sortir de l’université

- Formateurs : le chainon manquant

- Orthographe : l’indispensable médiation

- Pratiques pédagogiques : à la recherche du consensus

- En bref

- « Un rôle décisif dans l’infléchissement des pratiques »