Le ministère a décidé de suspendre le Dictionnaire des écoliers. Cette mesure est prise suite à la diffusion sur Internet d’extraits particulièrement révélateurs de cet ouvrage. A l’origine de ce buzz, la conférence de Cendrine Marro, maîtresse de conférences à l’UFR des sciences psychologiques et sciences de l’éducation de l’Université Paris Ouest Nanterre, lors de l’Université du Snuipp à Port Leucate.

Le Café avait publié son intervention le 30 octobre et revient avec elle sur les question du genre à l’Education nationale.


Lors de l’Université du Snuipp à Port Leucate, vous avez signalé ce fameux dictionnaire des écoliers avec ses définitions sexistes. Qu’est ce qui vous a le plus surpris ?

En 2012 écrire des choses comme cela c’est incohérent avec l’Education nationale qui se prononce pour l’égalité.

L’éducation nationale est un milieu où il y a beaucoup de femmes. Comment expliquer qu’autant de stéréotypes se retrouvent dans ce milieu ?

Le propre des stéréotypes c’est qu’ils sont partagés par tout le monde, femmes comme hommes. Ils sont porteurs de savoirs de sens commun. On a en France une idéologie de la complémentarité des sexes et on est socialisé à la différence des sexes et même à la complémentarité des sexes. Ce qu’énonce d’emblée le dictionnaire « une femme c’est une maman » est plus que restrictif même si cela peut fait plaisir à un certain nombre de femmes qui ne se rendent pas compte de l’inégalité qui couve sous cette injonction restrictive. A travers mes travaux et conférences concernant la dépendance/indépendance à l’égard du genre (DIG) ce que je combats c’est l’idéologie de LA différence des sexes sur laquelle prend appui le genre, système hiérarchisant de normes de sexe qui incite les gens à produire, à manifester certaines conduites selon le sexe d’état civil auquel ils sont assignés et dans lequel ils souhaitent être reconnus.


Vous avez fait d’autres observations sur le milieu scolaire ?

Bien sur, comme l’ensemble des chercheur-e-s du champs des études genre telles Nicole Mosconi ou encore Sylvie Cromer. Même si des progrès sont réalisés beaucoup d’albums jeunesse sont riches en stéréotypes sexistes. Les manuels scolaires aussi. Dans bon nombre de ces ouvrages les filles et les garçons, les femmes et les hommes sont représenté-e-s avec des qualités, des intérêts, des compétences différentes. Et ce n’est pas toujours inconscient. Certaines personnes estiment encore aujourd’hui que filles et garçons sont fondamentalement différent-e-s tant sur le plan biologique que psychologique. Regardez la polémique récente concernant l’identité et l’orientation sexuelle en SVT. Des députés sont allé-e-s jusqu’à signer une pétition pour demander le retrait de manuels scolaires de première L et ES sous prétexte que ceux-ci exposaient une théorie non scientifique (la « théorie du genre sexuel » (sic !?) affirmant que l’identité sexuelle est une construction culturelle et non le résultat de processus biologiques. Mais tous les chercheur-es savent cela. ! C’est un fait avéré.

Au niveau du ministère de l’éducation nationale , un bel exemple a été la campagne pour le recrutement d’ enseignant-e-s qui prenait appui sur deux affiches : l’une sur fond bleu, avec un garçon, julien, qui est face à un ordinateur et qui « réalise son ambition » en devenant professeur des écoles. Une autre, sur fond rose, présente une femme, Laura, assise sur un meuble lisant un livre comme un roman et réalise son rêve ! Quelle enseignante prépare ses cours comme cela ?

Aujourd’hui, l’école persiste à perpétuer la croyance en LA différence des sexes, qu’il n’y a que deux sexes biologiques qui de plus se traduisent nécessairement en deux sexes psychologiques, et ce faisant elle perpétue le genre. Concrètement, beaucoup d’enseignant-e-s sans s’en rendre compte s’adressent aux élèves de façon différente, leur accordent une attention différente selon qu’il s’agit de filles ou de garçons parce qu’ils/elles les pensent, les voient comme différents. Nicole Mosconi, entre autre, souligne dans ses écrits combien cette différence supposée des sexes est utilisée pour gérer la classe :par exemple on va mettre un garçon remuant à coté d’une fille pour qu’il se calme à son contact ! la lecture en classe de .livres porteurs de stéréotypes et préjugés de sexe que les enseignant-e-s ne contestent pas contribuent également à perpétuer le genre. Mais pour contester, repérer ces stéréotypes et préjugés, il faut y être formé. Or, la formation des enseignant-e-s. qui ne prend généralement pas en compte les études s genre ne favorise guère le développement de cette compétence professionnelle.

L’école contribue à la construction du genre ?

Oui elle perpétue la croyance en la différence des sexes et qu’il y a deux sexes biologiques qui se traduisent en deux sexes psychologiques. Par exemple dès que les enfants arrivent et qu’on attribue des étiquettes roses pour les filles et bleues pour les garçons. Très souvent elle divise les élèves en deux groupes. Or tous les individus sont différents. La différence est inter individuelle. Il n’y a pas besoin de sexes différents pour avoir des gouts différents…

Ça commence dès la maternelle ?

Et même dès la crèche. Nous avons pu le montrer à l’occasion des assises 2011 de l’Institut Emilie du Chatelet…

Vous proposez des séquences pour faire réfléchir les enseignants ?

Et les élèves aussi. Pour cela Il faut regarder en face les stéréotypes. Je leur demande de réfléchir sur ce en quoi consiste LA différence des sexes (soit les croyance que l’on a concernant ce en quoi filles et garçons sont censé-e-s différer) et surtout sur ce qu’elle entraine comme inégalités. On prend des exemples concrets A l’école une petite fille en jupe habillée en rose ne va pas avoir une liberté de mouvement comme un garçon ou une fille qui porte un pantalon et des habits plus foncés . Et porter ces habits n’a rien de naturel. C’est là un des axes des études du genre : démonter la naturalisation des différences comme des inégalités

Mais aujourd’hui ce sont les garçons qui sont en difficulté à l’école…

Des filles le sont aussi. Mais c’est vrai que si on prend le redoublement ou les moyennes comme critère c’est exact. Mais en moyenne C’est une conséquence des comportements qu’on tolère plus aisément de la part des garçons que des filles. On ne valorise pas la même chose chez eux et chez les filles. Quand on valorise chez les garçons la force, la compétition, le fait de s’imposer et qu’on les laisse trop souvent intervenir sans lever la main…, des comportements non attendus des « bons » élèves, ces différences deviennent source d’inégalités dans l’évaluation des élèves

Les études de genre montrent comment le genre, ce système de normes hiérarchisant, nuit à tout le monde même si on reste dans une société où la classe dominante est celle des hommes et où les femmes en pâtissent donc davantage

Propos recueillis par François Jarraud Lire sur le site du Café pédagogique.

Quelques ouvrages :

- Marro, C. (2012). Dépendance-indépendance à l’égard du genre. Recherche et formation, 69 (à paraître)

- Marro, C. (2011). De la Mixité à l’égalité. Un cheminement vers l’indépendance à l’égard du genre. Diversité, Ville, école, intégration,165, pp.154-160.

- Marro, C. (2011). Repérer les inégalités que masquent les différences. Les Cahiers Pédagogiques. Mars (pp. 51-52)

- Mosconi Nicole (2006). La mixité : éducation à l’égalité ? Les temps modernes, 637-638-639, 175-197.

- Brugeilles Carole, Cromer Isabelle et Cromer Sylvie « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou » Comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre,Population, 2002/2 Vol. 57, p. 261-292.