Dès le 25 septembre dernier, puis dans la foulée de l’annonce du « plan harcèlement » par la première ministre le 27 septembre, le MEN lançait une série de GT avec les Organisations Syndicales (OS) sur la question de la journée du 9 novembre et d’un questionnaire à destination des élèves. Il y a eu 5 réunions au total, les 25 et 28 septembre, puis les 4 et 17 octobre, avant présentation du décret en CSE le 19 octobre, l’avant-veille des vacances.

Dès le départ, la FSU-SNUipp a souligné qu’il n’était pas question que la journée annoncée du 9 novembre soit une énième journée de com’ du ministre où les enseignant.es devraient improviser pour rentrer dans le cadre imposé. Le harcèlement nécessite de la formation et des moyens humains (Rased, psy, personnels sociaux et de santé) mais également des effectifs allégés alors que rien n’est prévu dans le plan de ce point de vue-là. Imposer et donner des injonctions n’a jamais permis que cela fonctionne mieux. Le ministère déporte la responsabilité sur les équipes qui restent sans moyen et isolées.

CE QUI EST PRÉVU

– 2h banalisées partout lors de la journée nationale de lutte contre le harcèlement en milieu scolaire entre le 9 et le 15 novembre.

– un kit et des ressources pédagogiques disponibles sur Eduscol et la plateforme pHARe

– un questionnaire d’auto-évaluation anonyme pour les élèves du CE2 à la terminale accompagné d’un guide de passation

– une restitution aux familles ; à noter qu’un flyer grand public sera à disposition pour les familles.

– une remontée de certains questionnaires pour un échantillonnage statistique par la DEPP : ce sera un échantillon représentatif qui ne donnera pas de travail en plus selon le MEN : les concernés devront seulement mettre sous pli les questionnaires pour envoi.

LE CALENDRIER

La FSU-SNUipp alerte depuis le début sur le calendrier ; la semaine précédant les vacances, aucune information n’avait encore été envoyée aux écoles et établissements sur le dispositif envisagé le 9 novembre (heures banalisées, questionnaire). Lors du dernier GT le 17 octobre, nous avons demandé, a minima, de ne pas imposer le questionnaire le 9 novembre mais de laisser une période pour que chaque équipe s’en saisisse. L’ensemble des OS présentes sont intervenues en ce sens.

Si c’est ce qui a été finalement retenu, avec une passation étalée sur une courte période entre le 9 et le 15 novembre, cela ne règle en rien la question de la prise en main du dispositif par les équipes – d’autant que l’annonce en a finalement été faite au début des vacances scolaires : temps de concertation, de réflexion, préparation en amont des élèves d’ULIS et UPE2A (lire plus bas), utilisation des ressources mises à disposition, appel à des personnels spécialisé.es quand cela est possible (infirmière scolaire, membre du RASED…).

LE QUESTIONNAIRE

Le ministère a mis en place 3 questionnaires différents (élémentaire / collège / lycée), dont le contenu a pu évoluer suite aux interventions des OS et de la FSU-SNUipp en particulier.

Toutefois, la problématique dès le départ était de cerner l’objectif de ce questionnaire : en vue d’une analyse de la parole des élèves, pour faire de la prévention ou pour obtenir une analyse chiffrée et procéder à une quantification statistique ?

La FSU-SNUipp avec la FSU a insisté pour que le cadre d’utilisation des questionnaires soit clarifié : avec un questionnaire anonyme les enseignant.es ne pourront pas traiter les situations individuelles qui en ressortiraient. Laisser une exploitation à l’échelle de la classe et de l’école permettrait d’aborder le point crucial du climat scolaire qui englobe, entre autres, le harcèlement à l’école. En effet, attention aux réponses, qui révéleront quelque chose du climat scolaire sans qu’il s’agisse forcément de harcèlement.

Avec le choix assumé du MEN de proposer des questionnaires anonymes, la question reste ouverte, puisque quels qu’en seront les résultats, il ne sera pas possible pour les enseignant.es d’agir directement, ce qui par ailleurs n’aidera pas à une appropriation de cet outil. A noter que les élèves peuvent refuser de passer le questionnaire, sans qu’il soit précisé comment l’enseignant.e gère cela dans sa classe.

Les grilles font apparaître la notion “d’auto-évaluation”, mais c’est en réalité à l’enseignant.e de la classe de les ramasser et les “corriger”, en relevant le nombre d’items pour chaque élève.

En cas de suspicion de situation de harcèlement, la famille sera reçue et l’élève invité à remplir un nouveau questionnaire, nominatif celui-ci… Sans que rien ne soit précisé sur la faisabilité d’identifier une telle situation à partir d’un questionnaire anonyme, ni sur comment prendre en charge et mettre en œuvre une procédure par la suite (avec quelle formation ? Quels personnels en appui ? Sur quel temps ? La question de la charge de travail supplémentaire étant chaque fois “évacuée” par le MEN).

Cela a parfois donné l’impression que le MEN s’éloignait de l’objectif partagé initial de lutte contre le harcèlement à l’école, en faveur d’une opération de communication. Nous les avons pourtant avertis que le dispositif prévu risquait de crisper les équipes, avec le sentiment que le questionnaire ne servira à rien. La FSU a insisté sur le fait que la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire s’inscrit dans la durée, et que la question de la formation des personnels en est un élément crucial. La FSU-SNUipp a plusieurs fois demandé de laisser les équipes gérer le 9 novembre et le questionnaire comme elles souhaitaient, en piochant dans le kit pédagogique.

 

LE GUIDE DE PASSATION

Un guide avec des conseils de passation accompagne les questionnaires d’auto-évaluation. Dans sa version initiale, il était plutôt axé second degré, et prévoyait un cadre rigide pour les PE (« En primaire, l’enseignant lit chaque question et laisse le temps aux élèves de répondre entre chaque question. »), que le MEN a enlevé à la demande de la FSU-SNUipp, admettant qu’il fallait laisser de la souplesse et faire confiance aux enseignant.es (sic).

Le guide reste cependant éloigné de la réalité du terrain, particulièrement pour ce qui concerne le 1er degré. Sur la mise en œuvre, il est par exemple prévu que dans le second degré les 2 heures puissent être faites en co intervention par 2 enseignant·es alors que rien n’est envisagé pour que cela puisse exister dans le premier degré. Ce traitement différencié entre primaire et secondaire est récurrent , et ne peut être que mal perçu sur le terrain, comme nous l’avons souligné.

Enfin, il est régulièrement question de « l’ensemble des personnels sociaux et de santé, les personnels d’éducation (CPE et AED), les personnels du pôle ressource et des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté et les psychologues de l’éducation nationale, ainsi que l’ensemble des personnels disponibles », qui « sont mobilisés dans les écoles et établissements afin d’accueillir et écouter les élèves qui, à l’occasion de la passation de cette grille, exprimeraient le besoin d’être reçus ou manifesteraient une forme d’angoisse ou de détresse (pleurs, stress, etc.). » Au regard des moyens disponibles et de la rareté de ces personnels dans les écoles, c’est au mieux un vœu pieu, et plus certainement un affichage à des fins de communication.

GUIDE journe_du_9_novembre_et_questionnaire__harclement__.docx (1)

LA RESTITUTION AUX FAMILLES

Cette procédure injonctive du MEN n’a été discutée réellement que lors du dernier GT le 17 octobre lors de la mise à disposition du guide de passation.

Il a été l’objet de nombreux échanges, avec la demande de ne pas l’imposer. Si la souplesse est finalement de mise (“Selon des modalités à l’initiative de chaque établissement et école (ateliers des parents, réunion par classe ou par niveau, etc.), une restitution à l’attention des élèves et de leurs parents d’élèves est organisée”), celle-ci n’en est pas moins exigée.

Il s’agit d’un exercice complexe et risqué, qui peut mettre les enseignant.es en difficulté, et se trouve directement lié à la question de la formation : comment on discute de ça avec les parents d’élèves ? A quelle restitution procède-t-on, chiffrée, si oui, quels chiffres ? Quel sens cela aura-t-il ? Enfin, cela rejoint également la question du manque de personnels à qui l’on pourrait souhaiter faire appel pour être accompagné face aux familles (sociaux, de santé, psy, RASED etc).

 

En conclusion, nos premières impressions restent légitimes: ce questionnaire risque d’être avant tout un outil statistique au service d’une politique qui se veut volontariste et qui a l’avantage d’être porteuse auprès de l’opinion publique, quitte à ignorer toutes les questions de faisabilité évoquées par l’ensemble des OS et l’aspect qualitatif du travail.
Le MEN s’est montré à l’écoute pour modifier, compléter et corriger certains éléments des questionnaires et le guide, mais pas prêt à renoncer au principe d’une passation dans les plus brefs délais quitte à se heurter au refus des équipes. Là où le ministère a bougé, c’est sur le fait de retenir une période et non une seule journée. Mais cette période reste cantonnée autour du 9 au 15 car le ministère veut avancer vite, récupérer des données chiffrées et surtout communiquer autour de la journée du 9 novembre.

La FSU-SNUipp est évidemment partie prenant pour faire de la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire et sa prévention un sujet essentiel, mais l’enjeu est trop important pour que les initiatives à venir ne servent qu’à des fins statistiques et de communication, dépossédant les équipes de tout pouvoir d’agir directement auprès de leurs élèves.